Voici une question qui agite parfois, et beaucoup ces derniers temps, le landerneau professionnel autant que la sphère privée, et infiltre tous les secteurs d’activité.
L’arrivée de ChatGPT fin 2022 et de ses petits camarades de l’intelligence artificielle (IA), considérée comme une nouvelle révolution planétaire au même titre que l’arrivée d’Internet, va effectivement bouleverser nos habitudes.
Comme tout changement, cette arrivée réveille des peurs. Et ces peurs, que les luddites, dont le passage à l’acte a été radical, expérimentaient déjà au XIXème siècle, n’ont pas varié : « Vais-je perdre mon travail au profit des machines ? » « Mon métier va-t-il disparaître ? »
Elle éveille aussi des curiosités, des volontés et recherches d’adaptation : « Comment ça marche ? » « Comment l’intégrer à mon métier, mon entreprise, mon quotidien ? » « Comment évoluer face aux machines ? »
Lançons-nous donc gaiement dans le débat du moment !
A fond High Tech ?
Il faut avancer avec son temps : l’IA est déjà là, et la technologie est omniprésente dans notre quotidien.
Dans les faits, le déploiement de l’IA, ou Intelligence Artificielle, a déjà infiltré notre quotidien pour beaucoup. Siri, Alexa, nos GPS, nos smartphones et autres chatbots fonctionnent sur des modèles de machine-learning ou de deep learning – et GPT 4, lancé en mars par Open AI, est déjà opérationnel (1).
L’IA est capable de dépasser l’humain, la preuve, elle peut créer. Des œuvres d’art créées à partir d’intelligences artificielles dite génératives, telles que Midjourney, ont été vendues pour un bon prix aux enchères (2). Une galerie d’art spécialisée en IA (3) a déjà vu le jour, et des collectifs d’artistes se dédient à l’IA, à l’instar d’Obvious. L’IA a même créé les éléments manquants d’une symphonie inachevée de Beethoven (4).
La tech est fortement génératrice de métiers. Outre les nombreuses start-ups de la tech qui font florès, et les métiers du codage, du développement et de l’analyse de données déjà bien identifiés, savoir rédiger un prompt pour mettre au travail ces mêmes intelligences artificielles serait en passe de devenir une des compétences-clés de demain. L’étude Future Of Jobs 2023 du Forum Economique Mondial prévoit ainsi la création de 4 millions de nouveaux rôles en relation avec le numérique (5).
La réalité virtuelle est une expérience apprenante comme une autre. Le cerveau ne fait effectivement pas la différence entre réalité et réalité virtuelle, ce qui en fait un atout pour l’expérimentation et l’apprentissage (6). Un client en recherche d’approches innovantes nous a demandé, un jour, si nous faisions des formations de prise de parole en réalité virtuelle. Nous ne faisions pas, mais nous avons essayé. Cet outil confronte la personne à un auditoire, qui va réagir selon des scripts. Cette expérience est nouvelle et excitante, les émotions ressenties sont bien réelles, et les fans de tech en ressortent enthousiasmés.
Tous les métiers peuvent être améliorés par des machines. Les métiers qui autrefois étaient relativement protégés des machines – les métiers dits intellectuels – font face désormais à un phénomène bien connu des métiers dits manuels. Une récente étude américaine (7) démontre que les métiers les plus poreux à l’arrivée de l’IA sont les métiers les plus qualifiés et les mieux payés.
L’EdTech est en place et démocratise la formation. En termes de formation et de coaching, les tech ne sont pas en reste. L’excitation autour des EdTech (educational technology) est extrêmement forte sur le marché, et se reflète sur tous les salons professionnels depuis 10 ans, à en éclipser parfois tout autre sujet dans les conférences, ateliers et stands.
Face à un trop-plein de formateurs sans relief, d’excès de théorie, place à la tech et au bitesize (petit format) ! De nombreux organismes proposent désormais des parcours intégralement en ligne, en totale autonomie : vidéos, évaluations en ligne, questionnaires, automatisation et orientation du parcours et des questions selon les réponses. Cette production en masse permet des économies d’échelle importantes une fois la production réalisée, ainsi qu’un déploiement aisé dans de grandes organisations comme à l’international.
Résolument No Tech ?
Le facteur humain ne peut être remplacé par une machine. La pandémie avait pourtant révélé il n’y a pas si longtemps que, si la technologie pouvait relier les humains, l’humain ne pouvait être réduit ni dans la relation, – que quiconque n’a jamais souhaité un vrai contact humain en pestant contre un chatbot obtus, un répondeur automatisé aux options de réponse limitées ou son assistant/e virtuel/le incapable de répondre à l’attendu me jette la première pierre ! – ni dans les soins – de l’environnement, des autres, de l’espace commun.
L’IA est moins efficace qu’un bébé. Le machine-learning et le deep-learning doivent être nourris par l’intervention humaine, pour lui « apprendre ». Et ils doivent être nourris de milliers, voire de millions de données pour arriver au même stade parcellaire qu’un humain. les mécanismes « neuronaux » de l’IA étant calqués sur ceux des humains. Un humain a des besoins similaires de « nourriture » pour apprendre, mais un bébé est déjà capable de bien plus de finesse qu’une IA (8). J’ai même entendu dire qu’un bébé est capable de reconnaître un chat après avoir été exposé à deux ou trois occurrences visuelles de chat, quand une IA a besoin d’être nourrie de plusieurs milliers d’images ou de vidéos de chats pour reproduire cette capacité de reconnaissance. Mais je cherche encore la source !
L’IA va détruire des centaines de métiers intellectuels. Le même rapport Future of Jobs 2023 prévoit effectivement une importante destruction due au numérique en général et à l’IA en particulier (5). En outre, les auteurs de l’étude américaine pré-citée, économistes d’universités américaines de renom, ont épluché 800 métiers, en les analysant sous le prisme de l’importance dans ceux-ci de 52 compétences humaines d’une part, et d’autre part de la capacité des IA génératives à les reproduire. Ils ne savent toutefois pas prédire si ces métiers seront remplacés ou enrichis par l’IA – et la gestion des parcours de carrière par les RH est une question épineuse à ce titre. (7)
Le tout tech de l’EdTech, c’est contre-productif. Sous couvert d’économies d’échelle, nous en avons expérimenté ou vu certains effets intéressants sur des proches : déconfits face à des vidéos inintelligibles, répondant à toute vitesse à des questionnaires pour obtenir le certificat nécessaire à la poursuite de leur travail, passant des vidéos ennuyeuses en vitesse x2, ne pouvant faire sans l’ordinateur, devant chercher sur Internet pour mieux comprendre les contenus qui leur sont poussés hâtivement, harassés et cernés en fin de journée. Des écueils curieusement absents des études actuelles sur le sujet.
La fracture numérique va croissant. Dans notre course à la technologie, il paraît nécessaire de garder en tête que, si certains d’entre nous naviguent avec aise les différents outils numériques et en adoptent facilement les nouveautés, ce n’est pas le cas de tous (9). Et que l’accès aux outils technologiques reste onéreux.
La tech génère de l’isolement social et des risques psycho-sociaux. C’est un risque avéré du tout-technologique, entre autres en télétravail (10). Le mouvement de balancier du rapport au télétravail est intéressant à suivre à ce titre, en termes de rééquilibrage en cours (11) et points de vigilance émergents, tout comme les bonnes pratiques qui poussent à remettre du nécessaire lien dans l’animation des fameuses réunions visio et de rappel de la netiquette, qui a grand besoin d’être enrichie au regard des nouvelles pratiques.
En matière de création, la réalité dépasse la fiction, et la nature dépasse l’IA. Nikon a eu la brillante idée de troller la tendance IA (12) en créant une campagne mettant en parallèle des beautés insolites existant dans la nature avec des prompts cherchant à les générer par IA. L’effet est saisissant, et la question demeure : pourquoi demander aux machines de créer ce qui existe déjà et à côté duquel nous passons en nous concentrant sur leur usage ?
La réalité virtuelle ne peut se substituer à la « vraie vie ». Si les simulateurs peuvent être des alliés d’apprentissage, dans notre exemple ci-dessus, les scripts doivent être en permanence paramétrés par le formateur/la formatrice, les scénarios sont limités, tout autant que les réactions obtenues de l’auditoire.
La Tech, ça pollue. Le No Tech, c’est la durabilité. Les tendances de réparation, de DIY, la limitation légale de l’obsolescence programmée et l’émergence d’un indice de réparabilité vont à contre-courant du High Tech, et il serait erroné de croire qu’elles sont minoritaires ou passagères. Il y a quelques jours, sur France Inter, j’entends un jeune dire avec une surprise mêlée d’ironie : « En fait, ce qui est à la mode actuellement, c’est ce que mon grand-père faisait ». Tout simplement une remise en place de bonnes pratiques de bon sens, d’économie et de durabilité qui étaient très présentes chez nos anciens.
L’on peut parler également des « On est passés au paperless, c’est plus écologique », fréquemment entendus en entreprise, quand on connaît l’impact des matériaux composants les outils numériques, des serveurs traitant tous nos outils numériques sur l’environnement et le climat. Sans même aborder son coût énergétique, entre recharges fréquentes et branchements permanents (13).
Le rejet du tout-numérique fait des petits. Les séjours de digital detox avaient déjà le vent en poupe – mais franchement, avec quelques bonnes pratiques de discipline individuelle, l’on peut en faire l’économie. La conscience de l’omniprésence numérique est arrivée chez les plus jeunes générations. A ce titre, un des derniers mouvement naissants en est le retour au « dumbphone » (14) : « téléphone idiot », ou téléphone à clapet et à touches, que certains d’entre nous ont bien connu.
Certes, ce mouvement peut sembler épiphénoménal. Il n’en demeure pas moins symptomatique. Stop aux réseaux sociaux, stop aux conversations à retard par messages interposés, stop au bombardement numérique, stop à la collecte de données personnelles, retour aux appels vocaux « live » et aux pratiques du « bon vieux temps »… S’il peut paraître archaïque ou simpliste, fantasmé, voire carrément hypocrite venant d’une Gen Z hyperconnectée et digital-native, il ne relève pas que de pratiques réactionnaires, mais révèle une nécessaire et permanente réflexion sur la place et l’usage des outils technologiques par rapport à l’humain. Ce pour quoi de plus âgés s’emparent de ce (pas si) nouveau geste (15).
Low Tech : choisir l’Appropriate Technology
L’idée de Low Tech n’est pas neuve, cependant elle me paraît intéressante dans le sens où, loin de rejeter toute technologie, elle relève plutôt d’un état d’esprit de consommer la juste technologie ou technique nécessaire, en plaçant l’humain au centre, et en réfléchissant à la durabilité des modèles et à la capacité à rejeter moins de déchets, réparer, remettre du lien dans la vraie vie – « IRL ». Ainsi, la nouvelle tendance Low Tech se nommait « Appropriate Technology » dans un passé pas si lointain.
L’innovation, chacun/e met ce qu’il veut derrière. Innovation, voici un mot galvaudé en ce moment. Alors que dans une entreprise, innovation veut dire impérativement outil numérique, app, IA… tandis que dans une autre, introduire un jeu apprenant ou mener un atelier d’improvisation est déjà parfaitement innovant. Dernièrement, une amie me parlait d’une nouvelle démarche d’autorisation de parole (« Speak Up ») des salariés dans les grandes banques françaises. Pour elle, c’était une innovation majeure, presque une révolution en marche – pour moi, cela relevait d’éléments anciens, déjà existants dans les années 60, et de nécessaires prérequis tant en termes de management que de pratiques de communication interne. Cela m’a remis à l’esprit une vérité fondamentale : ce qui est une évidence pour l’un/e ne l’est jamais pour l’autre. Chacun/e voit midi à sa porte, et tout est ici question de culture d’entreprise et de métiers.
Techniquement, la tech, ce n’est pas que de la technologie numérique. Ce sont aussi des techniques, des savoir-faire. Et c’est une orientation qui nous correspond plus chez AURATORIA. Sans rejeter l’apport des nouvelles technologies, nous préférons les utiliser et les doser selon le niveau et l’équipement technologique des participants, mais aussi selon leur besoin de reconnexion les uns aux autres, et la culture environnante, en mixant des modalités pédagogiques et d’engagement qui assurent l’interaction et la variété, des contenus numériques aussi bien que des mises en pratique accompagnées graduellement par un humain, des jeux apprenants ou des jeux de rôles aussi bien que des quizz ludiques en ligne.
Le Low Tech peut ressembler parfois tout simplement à « avant », et c’est OK. Sans mobile, sans ordinateur – papier crayon, en somme. Et de très nombreux et excellents formateurs, animateurs, facilitateurs (graphiques ou non) et coaches pourront vous le dire, tout autant que les clients, personnes et équipes accompagnées : il est tout à fait possible d’intervenir avec une grande efficacité dans ce mode. Avec un paperboard, des feutres, des post-its, des gommettes, des magazines, des cartes à jouer, des chaises… on vous retourne l’assemblée. Ca marche très bien en mode low tech, et c’est portable et transférable pour les participants. Du moment que le cadre est clairement posé et l’écoute présente, que les outils et les scénarios sont au service de l’objectif, et que les participants sont sollicités et engagés par des modalités alternées. La respiration no-tech est souvent bienvenue chez des équipes connectées en permanence, aussi bien que pour des participants isolés au quotidien, ou peu à l’aise avec un multiplicité d’outils nouveaux.
L’humain offre des possibilités supérieures aux scénarios numériques. Nous assumons également notre choix de mises en situation et de jeux de rôle s’appuyant sur des participants en chair et en os, dont les réactions possibles sont plus variées – en fait, infinies ! -, où la capacité de traitement de situations ou questions particulières plus fine, et où la valeur ajoutée du/de la formateur/trice ou du/de la coach, se situent dans la finesse de son observation, de son écoute, sa capacité d’analyse, et la richesse de son expérience. La mise en place d’ancrages d’apprentissages et de plans d’actions concrets va également être clé dans le développement des compétences ou dans l’enrichissement et l’efficacité des actions. D’ailleurs, le rapport Future of Jobs souligne également l’importance du développement de ces soft skills essentielles aux intervenants, mais aussi aux managers et aux collaborateurs, pour l’avenir – tels que pensée analytique, créativité, curiosité, empathie, écoute active, leadership, influence sociale… (5).
Introduire la juste dose de tech – et de no-tech. En termes de création de séminaires et d’ateliers, nous croyons également que l’introduction de la juste dose de technologie, ou a contrario la mise en place de scénarios « no-tech », afin que les équipes se l’approprient et puissent le répliquer aisément dans leur quotidien selon le besoin et la culture, restent au cœur de notre savoir-faire humain, un artisanat précieux qui sait choisir ses outils, techniques ou technologiques. Et que ce n’est pas encore demain qu’une IA pourra animer un séminaire ou réaliser un coaching en veillant à l’implication de chaque participant et aux objectifs.
Le mix est souhaitable et bénéfique. En évitant les écueils de la confusion, de la multiplication des outils, de la gadgétisation des pratiques, ou celui de rejeter ce qui fonctionne très bien en no-tech. Avec le cadre adapté, et du doigté, le management peut se réaliser partiellement à distance, la collaboration peut se travailler aussi bien en ligne qu’en présence, le format des outils, jeux ou quizz en ligne s’adapter aux participants. D’ailleurs, la démarche d' »hybridation » semble faire plus de salariés heureux au bureau que les modèles tout-distanciel ou tout-présentiel (11).
Et demain, pourquoi pas des scénarios partiels de réunion, de formation, de coaching, générés par un prompt sur une intelligence artificielle, accompagnés par un/e manager ou un/e intervenant/e à l’écoute et à l’expertise humaine développés ? Des outils et des contenus en ligne ou numériques, oui, mais pas sans la finesse, l’expérience et l’empathie de l’accompagnement humain.
Pour conclure, précisons que cet article a été écrit entièrement à la main et sans utiliser aucun prompt IA – mais peut-être que le suivant ne le sera pas, qui sait !
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Sources :
- GPT-4 : qu’est-ce que c’est exactement ? (lebigdata.fr)
- Un tableau peint par une IA vendu à plus de 400.000 dollars – Sciences et Avenir
- La première galerie d’art consacrée à l’intelligence artificielle ouvre à Amsterdam (lejournaldesarts.fr)
- Une IA complète la 10e symphonie de Beethoven – Sciences et Avenir
- The Future of Jobs Report 2023 | World Economic Forum (weforum.org)
- La réalité virtuelle ? Des effets bien réels sur notre cerveau ! – binaire (lemonde.fr)
- Occupational Heterogeneity in Exposure to Generative AI, SSRN – merci à TTSO pour la pépite !
- Les nourrissons font mieux que l’intelligence artificielle pour décrypter la psychologie humaine | PARENTS.fr
- Fracture numérique : dernières actualités et vidéos (lefigaro.fr)
- Télétravail. Ce qu’il faut retenir – Risques – INRS
- Aperçu Rééquilibrage du travail : rapport Citrix sur le travail hybride
- Nikon se dresse contre l’IA et rappelle la beauté insolite de la nature et du monde réel (phototrend.fr)
- Comprendre l’impact du numérique | Le site de la Communication Responsable (ademe.fr)
- Qu’est-ce qu’un « dumb phone » et pourquoi tant de jeunes en achètent-ils ? | Euronews
- Le grand retour du téléphone à clapet tout droit sorti des années 2000 (rtl.fr)