Deuxième partie : PARTAGE
Parole : il redevient (enfin) important de se parler, de prendre le temps au téléphone, de balcon à balcon, d’un côté de la rue à l’autre, d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, puisque le monde est touché. Appeler les proches, les personnes isolées, les équipes, pour prendre des nouvelles, leur en donner, partager des moments au-delà des grandes distances, réconforter par la voix, dans des circonstances où l’écrit ne suffit plus, ne peut plus suffire, et que se rencontrer IRL, “in real life” – dans la vraie vie -, n’est plus une option. La voix qui crée des ponts par-delà les distances. Lancer notre voix comme une bouée de sauvetage pour les autres, comme une corde nous reliant les uns aux autres, comme ces mains tendues et ces poignées de main désormais bannies, mais qui n’en seront que plus fortes ainsi, et n’en auront que plus de saveur le jour où nous les retrouverons, parce que nous avons maintenu le lien. Lancer notre voix pour jouer, pour partager, pour rire, pour échanger, par-dessus les rues désertées, comme dans ces jeux de bingo de quartier, ou ces chants partagés. Il n’est plus question de garder sa voix pour soi. Même pour les plus réservés, en faire le cadeau, ce cadeau à la fois si intime et si public, aux autres.
Accent : Ne pas se toucher : notre société est désormais « sans contact ». Nos gestes quotidiens sont interdits ? On ne peut plus se serrer la main, se toucher le visage… ? Qu’à cela ne tienne ! Nous les considérons temporairement comme des gestes parasites, prenons conscience de leur impact, et en inventons une nouvelle gamme. Créer de nouveaux gestes de salutation, d’appartenance, d’affection, de politesse, de respect de l’autre. De nouveaux signifiants de relation quand l’on se retrouve privés des gestes quotidiens et que nous souhaitons conserver et exprimer, par-delà les contraintes, cette relation. Fédérer par d’autres motifs.
Rester à un mètre minimum les uns des autres ? Les créatifs et ludiques « check » de pied et de coude ne sont plus de mise ? Qu’à cela ne tienne ! Nous créons des gestes plus larges, plus visibles, plus précis : nos gestes prennent une ampleur et une importance inédite. Théâtrale dans leur dimension, toujours juste dans leur intention. Et nous apprenons des gestes d’autres métiers, qu’on ne fera sans doute jamais aussi bien qu’eux – ou peut-être que vous aurez envie de vous lancer dans une nouvelle voie, après ?
Qui doit entretenir son domicile, son jardin, les cheveux de sa famille ou développer de nouvelles compétences impromptu me jette la première paire de ciseaux ! Et puis, en toute honnêteté, qui se plaindra du fait que désormais tous se lavent (au moins) les mains et de ce retour incontinent à une hygiène que nous ne devions pas déserter ?
Applaudir les personnels soignants tous les soirs à 20h00 : un geste commun, fédérateur et essentiel. Et nous retrouverons le toucher quand tout sera derrière nous grâce à eux, grâce aux efforts de tous.
Regard : Regarder autour de soi, les autres, la nature, la vie, prendre du recul, changer de regard. Se rendre compte de la folie de notre époque, se dire qu’on va changer, espérer que ce soit vrai sur le long terme. Regarder vraiment les autres, en pleine face, pour leur dire qu’ils existent, qu’on existe, que le lien est réel. « Je te vois », au sens de cette expression dans le film Avatar : je reconnais ton essence. Je te reconnais en tant qu’humain, partageant une même condition, les mêmes difficultés, les mêmes émotions. A distance, via écrans s’il le faut, mais se voir, se regarder. Et puis détacher le regard du vide des écrans pour retrouver le plein des personnes. Regarder devant. Envisager demain. Regarder des œuvres d’art, toutes celles que les musées ont mises à disposition pour continuer à nous nourrir. Regarder, déchiffrer les lignes et les mots tracés par d’autres, lire. Quand la question se pose de considérer les librairies comme commerces essentiels, après avoir assigné la même essentialité à la nourriture, à l’hygiène, à la santé. Quand la survie matérielle est assurée au mieux des possibles, il est temps d’envisager le caractère essentiel de la survie du moral.
Talent : Des courages se révèlent, sont redécouverts, en premier lieu chez les personnels soignants, héros nationaux, au quotidien. Chez les associations aussi, qui luttent en permanence aux côtés des plus fragiles, encore plus fragilisés par notre incroyable situation, inédite dans l’histoire, et dont la force vive, composée de nombreux bénévoles âgés, manque. Les services publics et les média sont également en première ligne. Et puis chez les dirigeants, les managers, les salariés, héros moins connus. Le souci du personnel et des équipes, le maintien du lien et de la cohésion, tant à titre personnel que professionnel, sont au cœur des préoccupations managériales. Le maintien des services essentiels, le sens du collectif, répondre « présent/e ! » quand on n’a qu’une envie, c’est d’être absent/e, d’éviter, de ne pas se confronter. Créer et imaginer des activités, des aides, pour ceux qui n’en ont pas la capacité. Chacun/e prend une conscience plus aiguë de son impact sur les autres, de sa responsabilité envers les autres, de ses devoirs. “Protéger et servir”, la devise des policiers américains, est devenue celle de tous.
De magnifiques élans de solidarité se mettent en place, pour conserver le lien, entretenir les relations, à distance certes, mais en partageant des moments, en les créant. Les relations sociales, les interactions sociales, si banales précédemment, retrouvent soudain une importance capitale. Les réseaux numériques sont là – mais ils ne suffisent pas. Il nous faut nous voir, nous parler. Partager les bonnes trouvailles, proposer des solutions à cette situation inédite. Eviter les clivages quand les chasses aux sorcières, le repli et l’individualisme pourraient tout aussi facilement reprendre le dessus. Créer des ponts, partager, partager encore. Rire de et contre l’adversité, rire avec les autres, ensemble. Et puis soutenir ceux qui ne peuvent rien : les personnes isolées et âgées : https://www.nouvelobs.com/confinement/20200320.OBS26335/l-appel-de-blanche-gardin-pour-aider-les-sdf-pendant-le-confinement.html, les SDF : http://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-donner-des-cours-faire-des-courses-comment-aider-et-etre-solidaire-20-03-2020-8284062.php. Partagez ces élans et ceux que vous trouvez autour de vous.
Ecoute : Se mettre à l’écoute des autres, de leur isolement, de leurs peurs, de leurs idées et de leurs créations. Ecouter les informations pour rester relié au monde. Partager le temps lors des conférences téléphoniques et visioconférences, assurer l’écoute de tous, le temps de parole. Ecouter les oiseaux dans les rues vides, les jardins et parcs déserts qu’ils se réapproprient. Ecouter les étranges bruits des arbres que notre vacarme habituel nous empêche d’entendre. Ecouter la musique, les opéras mis à disposition gratuitement, les playlists partagées. Créer et ouvrir des lignes d’aide, de soutien. Avec ou en plus de tous les numéros verts d’écoute qui fleurissent joliment en ce tout jeune printemps. Se mettre à l’écoute du temps qui passe soudain plus lentement. Des sirènes du Slow dont on ne sait pas si on arrivera vraiment à les appliquer en continuité dans l’après, mais dont on sait qu’elles sont à nous en ce moment, au présent.
Et vous ? Que faites-vous ? Comment faites-vous ? A vous de jouer !
Photo de Andre Furtado provenant de Pexels