Femmes et prise de parole : toujours un enjeu en 2024 !

Quelle place pour la parole des femmes en 2024 ?


En cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, et en cette semaine historique menée par le Congrès français, je vous partage un coup de gueule. Et, parce que le constat est intolérable, une foule de solutions.

Certes, “la parole des femmes s’est libérée” depuis #MeToo, en particulier sur les violences sexistes et sexuelles. Cela continue. Il faut s’en réjouir.
Malgré les tentatives, toujours nombreuses, de les intimider, de dénigrer leur parole, de l’étouffer sous le silence.

Cette parole féminine reste tout autant minorée, étouffée, dénigrée, dans toutes les sphères et sur tous les sujets. Et c’est en France, en 2024.

Malgré là aussi les efforts, les quotas, les prises de conscience…, les femmes prennent toujours moins – ou plus exactement, ont moins – la parole que les hommes. Et dans les espaces publics – réunions, débats, média, réseaux sociaux -, et leur parole est trop souvent encore minorée, dans tous les sens du terme.

Etayons ce constat à date à l’aide des dernières études du moment, pour nous plonger par la suite dans de pratiques solutions !

Dans les média : une présence féminine en progrès, mais une parole encore mineure

Admettons-le tout de go : l’ARCOM a quelques motifs de se réjouir, et nous aussi. En effet, son tout nouveau rapport annuel La représentation des femmes à l’antenne en 2023 et son évolution depuis 2016, réalisé en collaboration avec l’INA et publié ce 5 mars, pointe de bonnes nouvelles :

  • ce sont désormais 51% des présentateurs/trices de radio et télévision qui sont des femmes. Ouf ! Un score de parité inattendu !
  • les chaînes publiques font mieux que les chaînes privées en matière de présence et de parole des femmes, preuve que les premières font un réel effort.
  • la part des expertes invitées en plateau augmente : de 30% en 2016 à 43 % en 2023 (+ 13 points)
  • la part des femmes en plateau a augmenté en général : de 38 % en 2016 à 43 % en 2023 (+5 points en 8 ans). 

MAIS de trop nombreux points de vigilance et d’alerte demeurent, et minent l’apparent progrès en la matière :

  • la présence des femmes en plateau stagne depuis 2021
  • les femmes restent sous-représentées chez les journalistes comme chez les personnalités et expert/es invité/es à s’exprimer (entre 33 et 43%)
  • elles sont encore moins présentes aux heures de fortes audience qu’aux heures de journée : de 38% à 45% selon les heures, et en stagnation voire diminution sur 3 des 4 indicateurs.
  • le temps de parole des femmes ne dépasse pas 36 % depuis 2019
  • le temps de parole des femmes chute sur la dernière année alors que leur représentation augmente : -2 points vs. 2022, à 34%. Ceci s’explique – partiellement, mais cela ne suffit pas – par le plus fort taux de parole masculine sur les conflits médiatisés, trop nombreux dernièrement. Cela avait été le même phénomène lors du confinement, mais le chiffre tombe encore plus bas sur 2023 !
  • un net décrochage de présence sur les chaînes privées par rapport à l’an dernier : -3 points à

En somme, on retrouve la même proportion de temps de parole actuellement que de 2001 à 2018 : le temps de parole des hommes reste deux fois plus important que celui des femmes !

 

Dans les autres pratiques sociales, une injonction au silence généralisée

=> Sur les réseaux sociaux, une parole faible et mise à mal

En janvier dernier, le HCE (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes) tirait la sonnette d’alarme sur l’invisibilisation et la violence que les femmes subissaient sur les réseaux sociaux.

Leur parole y est minorée, leur apparence critiquée, leurs mots dénigrés. Une injonction au silence généralisée, en somme : “Les réseaux sociaux participent au triple processus d’invisibilisation des femmes, de reproduction des stéréotypes de genre et de diffusion de la violence symbolique et physique envers les femmes.”

Sur l’échantillon des vidéos les plus vues sur plusieurs réseaux phares en 2023, les chiffres sont édifiants et le rapport parle de “femmes invisibles ou caricaturées” en termes de représentation et de “persistance voire aggravation du sexisme et de la violence” :

  • 8% seulement des vidéos les plus vues sur Youtube sont réalisées par des femmes – un “quasi-monopole masculin”
  • dans les vidéos mixtes, les femmes ne représentent que 17% des personnages principaux, et 41% des personnages secondaires – et au total seulement 34% des personnages représentés
  • passivité dans l’image : seulement 29% de femmes sont représentées dans des rôles actifs vs.  71% d’hommes dans des rôles actifs
  • Sur TikTok, les tendances sont similaires, et sur Instagram, la représentation est extrêmement stéréotypée, privilégiant les rôles domestiques, maternels et sexualisés de la femme.
  • Sur Youtube, Instagram et TikTok, les valeurs viriles sont dominantes et les femmes ridiculisées voire subissent des violences.

Dans une étude IPSOS portant sur 2022, Féministes contre le cyberharcèlement publie un chiffre accablant : 84% des personnes cyberharcelées sont des femmes. Et égrène les statistiques des conséquences graves, mentales, physiques et sociales, du cyberharcèlement.

Csaba Kőrös, Président de l’Assemblée générale des Nations Unies, résumait ainsi la situation en 2023 « Les femmes sont 20% moins susceptibles que les hommes d’utiliser l’Internet, mais 27 fois plus susceptibles d’être victimes de harcèlement ou de discours de haine en ligne, lorsqu’elles le font ».

Le constat est que nous faisons face à une volonté de faire taire les femmes sur la toile, intégrée par les femmes elles-mêmes, et pour cause.

=> Réunions, poste à responsabilité, conversations : moindre temps de parole et mecterruption pour les femmes

En réunion, 75 % du temps de parole revient aux hommes, et au quotidien, mecterruption

La journaliste Jessica Bennett avait identifié empiriquement le phénomène de « manterruption » – ou “hommeterruption” ou “mecterruption” en français. Ce phénomène revient à ce qu’une femme soit interrompue (par un homme) bien plus souvent qu’un homme n’est interrompu, par qui que ce soit.

On aurait pu croire qu’un poste à fortes responsabilité et légitimité les en  protègerait. Raté ! Les études de Tonja Jacobi et Dylan Schweers de la Northwestern University (États-Unis) ont pointé l’existence de ce phénomène à l’encontre des femmes Juges à la Cour Suprême.

Certaines femmes, face à cette pratique pernicieuse et bien souvent inconsciente, en perdent le fil de leur pensée. Comme on peut aisément le comprendre.

Une autre étude de la Brigham Young University a identifié que les hommes utilisent 75 % du temps de parole au cours d’une réunion de travail et interrompent une femme 23 % de plus qu’un autre homme.

Que cela soit dans le milieu privé ou professionnel, à l’encontre de personnalités publiques, femmes politiques, communicantes comme femmes d’influence, quel que soit le milieu socioprofessionnel, le niveau d’étude ou même la capacité à tenir tête à ses adversaires, aucune femme ne serait épargnée par la “mecterruption”.

Not in my backyard? Mais si ! La mecterruption se calcule.

En France, BuzzFeed avait chiffré la mecterruption sur un débat politique en 2016 entre candidats aux primaires de la droite, NKM (Nathalie Kosciusko-Morizet), seule femme, Alain Juppé,François Fillon, Nicolas Sarkozy. Résultat ? NKM a été interrompue 27 fois. Les hommes, pour leur part, ont été interrompus seulement entre 9 et 12 fois.

Et aujourd’hui ? L’application WOMANINTERRUMPTED fournit des chiffres en temps réel de cette pratique et ce, dans le monde entier. Nous vous donnons ci-dessous un aperçu France / Etats-Unis du nombre d’interruptions qu’une femme subit chaque minute lorsqu’elle ouvre la bouche dans ces pays démocratiques : 1,34 en France, 1,45 aux Etats-Unis. C’est beaucoup, c’est trop. Nous vous laissons imaginer – et vérifier – dans les autres, c’est édifiant.

Et c’est compter sans le ‘mansplaining” (ou “mecsplication”) lorsqu’un homme explique ce qu’une femme vient de dire (démontrant ainsi qu’elle s’est mal exprimée et qu’il sait mieux le dire) ou  encore le “bropropriating” (ou “bropropriation”) lorsqu’un homme reprend à son compte les idées qu’une femme vient d’émettre, la réduisant ainsi au silence en développant le point.

=> Un ancrage culturel et sociétal profond qui évolue trop lentement

Les racines en sont bien ancrées, chez les hommes comme chez les femmes.

On sait la sous-représentation récidivante des femmes dans les instances de pouvoir, politiques et de gouvernance – gouvernement, ComEx, CoDir, Boards, cadres dirigeants et supérieurs…).

On sait également maintenant que la place comme la parole des femmes dans l’histoire a été effacée.

Les écarts salariaux sont toujours prégnants à qualification égale, le raccourci les femmes valent moins = leur parole aussi arrive rapidement.

Le relatif silence des femmes s’explique, outre les violences patentées qui leur sont faites dans l’espace public, par la prolongation de stéréotypes de genre via l’éducation – écoute et attention aux autres pour les filles, action et la parole pour les garçons.

Par ailleurs, les filles et femmes conservent encore aujourd’hui la réputation (et donc la perception) de bavardes. A noter qu’à date, aucune étude scientifique n’a pu démontrer cette réalité. Et l’ancien nom de l’histrionisme, l’hystérie, lié à l’utérus, a la peau vraiment très dure.

Enfin, les règles d’éloquence ont été fondées par des hommes pour des hommes – ce qui fait qu’encore aujourd’hui, une femme qui parle avec autant d’assurance aussi longtemps qu’un homme n’est pas aussi valorisée qu’un homme dans la même situation, voire est considérée comme agressive !

Nos députées à l’Assemblée Nationale se voient encore – la reprise en main par Yaël Braun-Pivet n’a pas encore porté tous ses fruits. L’une d’entre elles partageait : “Dès qu’il y a une femme qui parle, il y a des députés qui disent : “Chut”, “calmez-vous”, “prends de la camomille””.

En somme, on veut bien voir les femmes, mais pas les entendre. Ces nombreux facteurs participent à la dévalorisation de facto de la parole des femmes – par les hommes, mais aussi par les femmes elles-mêmes !

Alors, quelles solutions ?

On peut faire le constat que le triptyque éducation, régulation, sanctions préconisé par l’INA et l’ARCOM depuis de nombreuses années tarde dans ses effets, quand bien même les institutions de média publics y sont manifestement plus vigilantes.

A noter que ces belles institutions sont dirigées par des femmes. Merci Delphine Ernotte (depuis 2015) et Sibyle Veil (depuis 2018) d’ouvrir et montrer la voie !

Heureusement, chez les jeunes générations, les chiffres sont un peu moins forts, signe qu’un changement se profile pas à pas, et que le soutenir est crucial.

Par ailleurs, face à des biais de perception sur la voix dont elles étaient victimes, les femmes se sont adaptées :  entre 1968 et 2018, leur fréquence vocale est en baisse de 23 hertz en moyenne, avec une voix plus grave, synonyme d’assurance et de pouvoir.

Alors mesdames et messieurs, dans les média comme dans les réunions ou même à table, prenons les choses en main, car chacune et chacun a son rôle à jouer ! Voici quelques suggestions, vous pouvez nous en communiquer d’autres, nous les ajouterons ici !

  • Inscrire plus de femmes sur le site Les Expertes, vivier pour les journalistes : Les expertes existent. Elles sont ici. – Expertes France ;
  • Valoriser et mettre en avant plus de femmes inspirantes et leurs expertises en publiant leurs portraits sur LinkedIn et X et dans vos podcasts, tout comme via vos agences ou chargé/es de relations presse ;
  • Pousser les femmes de votre entourage à investir sérieusement et professionnellement sur elles-mêmes, quand la grande majorité des hommes, eux, n’hésitent pas à demander des budgets, des financements, des formations, des augmentations, des mises en avant communicationnelles, des promotions professionnelles, des postes à responsabilité, dans tous les domaines (y compris ingénieure, experte du numérique etc.) ; et à les accepter si elles leur sont proposées !
  • Rappeler aux femmes que la qualité de leur travail ne suffit pas, elles ont à savoir faire ET le faire savoir ! Oublier ce dernier élément handicape leur avancée.
  • Soigner la parité dans les panels d’intervenants de vos événements ou de vos mises en avant, médiatisées ou rediffusées ;
  • Demander le bulletin de salaire de vos collègues masculins à poste similaire (droit à la preuve) et à vérifier l’index égalité salariale homme-femme de votre entreprise – c’est légal !
  • Encourager et soutenir la parité du temps de parole féminine dans tous les événements publics en cas de mixité : par exemple, faire usage d’un bâton de parole et/ou d’un minuteur avec équité de temps ;
  • Signaler et contrer la mecterruption lors de vos réunions et vos discussions, en téléchargeant et activant l’application gratuite Woman Interrupted d’une part, et, chaque fois que vous remarquez une mecterruption, une bropropriation ou une mecsplication, en redonnant la parole à la femme interrompue, lui réattribuant son idée, relançant sa confiance en la soutenant ;
  • Signaler et bannir les propos sexistes sur les réseaux sociaux – qui ramènent jeunes filles et femmes à leur physique, critiquent plus vivement leurs propos, font des réflexions d’un autre âge ; suivez l’exemple édifiant des Swifties qui s’organisent pour voler en masse au secours de leur idole Taylor Swift – femme puissante s’il en est – sur les réseaux sociaux à chaque attaque de haters, trolls et sexistes en tout genre !
    Ou encore les super-ladies de Meuf qui, sous l’égide de Claire Suco et face à des propos sexistes pendant leur pitch dans l’émission “Qui veut être mon associé” sur M6 (NB : ces propos ont été coupés au montage), ont “refait le pitch”, fait le buzz et levé leurs fonds – sur les réseaux sociaux justement !
  • Soutenir les propos et actes publics des filles et des femmes sur tous les réseaux sociaux tout comme dans la vie quotidienne : par écrit comme par oral, tout “stroke positif” compte, et il en faut des dizaines, voire des centaines. Commenter sincèrement, positivement sans “mais” dès que vous appréciez leur esprit critique, leur intelligence, leur audace, leurs actions, leur indépendance, l’originalité de leurs idées… voire leur insolence !  Tout ce qui est habituellement plus valorisé chez un garçon dès la petite enfance 🙂
  • S’éduquer en écoutant ou regardant le podcast Chroniques du Sexisme Ordinaire de Marine-Pétroline
  • Sensibiliser en mettant en place dans son entreprise un spectacle Chroniques du Sexisme Ordinaire et ouvrir un espace de parole avec lesdites  !
  • Mettre en place et animer un cercle féminin dans son entreprise
  • Et soyons fous, faire appel à nous en ateliers, formation et coaching ! 🙂 (cf. ci-dessous)

Et chez AURATORIA ?

Nos actions, ce sont :

  • les programmes de coaching Female Voice Empowerment et de formation Boost Your Pride que nous avons développés pour soutenir le leadership féminin en environnement professionnel,
  • les ateliers pour soutenir l’entrepreneuriat féminin et les carrières des femmes, créés et animés pour Femmes des Territoires, Celsa-Sorbonne Alumni, Dauphine Alumni Club Dauphine au Féminin
  • notre développement de réseaux féminins d’entraide, de partage de pratiques et de partenariats,
  • nos interventions pro bono auprès de 100 000 Entrepreneurs pour valoriser l’entrepreneuriat et l’audace féminine auprès des jeunes filles,
  • des interventions en conférence pour faire peser la voix des femmes dans les débats et les tables rondes,
  • le mentorat de femmes pour les aider à aller plus loin avec leurs projets, se projeter dans un poste à responsabilité,
  • la favorisation des femmes dans nos équipes pour développer concrètement leur business,
  • et le fait de rémunérer dignement leurs interventions, contrairement à de nombreuses pratiques du secteur !

Si vous les trouvez utiles, vous pouvez y prendre des idées et les appliquer vous-même 🙂

Et aussi, à titre privé, quelques combats homériques en famille pour rééquilibrer les temps de parole homme/femme – pas toujours facile, mais on ne lâche rien !

Et vous, que faites-vous ?

Contactez-nous
ou écrivez-moi sur LinkedIn pour nous en parler !

 


Sources :